Un article sur Bayonne dans le monde
Jeu 25 novembre 2010
Hier, est paru dans le Monde, un article à la rubrique "Voyages" sur Bayonne.
À la première lecture, j'étais atterré. Je laissais hier soir mes envies de répliquer à chaud. Et en relisant l'article maintenant, ma tristesse a laissé place à une sourde hargne contre l'auteur de cet article : Pierre Cherruau.
Alors voilà. J'artille. Ça attirera certainement les trolls, mais on ne peut pas laisser un article aussi idiot sans réponse un tant soit peu structurée.
Dès la sortie du train venu de la capitale, nul besoin d'être convaincu par le discours enthousiaste des habitants de la ville. Ce n'est pas Paris qui est une fête, mais Bayonne. La belle Sudiste, la ville bâtie entre deux rivières. Au mois d'août, elle est prise d'assaut par les fêtards venus de toute la France et même d'Espagne.
Alors d'abord. Un article qui paraît au mois de novembre et qui démarre en fanfare sur les Fêtes, ça fait un peu anachronique. Ou alors, c'est que le train du retour a mis beauuuuuucoup de temps à rentrer. Ou alors c'est la seule chose qu'une recherche sur les moteurs de recherche ont pu rapporter : d'où le premier cliché. Bayonne == Fête.
Ami venu d'ailleurs, sache que les Fêtes, c'est en effet une part importante de la vie Bayonnaise, mais qu'elle n'a lieu "que" cinq jours par an. En moyenne, ça nous laisse trois-cent-soixante jours (un quart) pour ne pas être vêtu en blanc et rouge ou s'abreuver de piquette pas fraîche.
Suivent deux paragraphes encore consacrés aux Fêtes
Pendant les fêtes de Bayonne, inutile d'essayer de dormir pendant la nuit [..] Et la petite musique aigrelette des flûtes. [..] On entonne allègrement “la pitchouli, la pitchoula, le rendez- vous de tous les Basques du pays”.
etc. Mais, glissée au milieu de ce narratif, une question apparemment intéressante :
Mais cette ville est-elle réellement basque ?
Les Basques se vantent souvent (avec un gros clin d'oeil) d'avoir à peu près tout inventé. Les Bayonnais eux, ont certainement, en se posant cette question millénaire, inventé le troll. Celui-ci alimente parfois les discussions au coin du bar ; et pour ma part, on moque ma situation géographique : j'habite St-Esprit, et les "vrais" Bayonnais te le diront : St-Esprit, c'est pas Bayonne, c'est les Landes. Ce qui, historiquement, se comprend facilement en cherchant un peu.
Cette question ne m'intéresse pas, aujourd'hui. Elle est intéressante du point de vue historique, certes, mais elle ne changera ni mon attachement à Bayonne, ni ma vie de tous les jours.
L'écrivain Yves Harté résume bien la part d'Histoire, d'ailleurs :
"Bayonne, c'est une ville de métissage. Une ville de rencontre entre le Pays Basque et la Gascogne. Elle est tout autant gasconne que basque"
En revanche, suit un nouveau cliché :
Par la force de la géographie, la ville est aussi très tournée vers la culture espagnole.
Ah ? J'ai beau chercher, je trouve assez peu de ressemblance entre les cultures Bayonnaises et disons... Andalouses ? Pareil pour l'architecture, la langue, les horaires de gens, la bouffe, bref.... Oui, l'Espagne n'est pas loin... Ou plutôt : le Pays Basque espagnol n'est pas loin. Et à Bayonne, on sent beaucoup plus l'influence de l'Hegoalde que celui de Madrid. Petite précision géographique, certes, mais qui a son intérêt.
Et par pitié, ce n'est pas parce que certains bars se disent "Bodega" qu'on devient nécessairement influencé par la culture espagnole. Y'a aussi un restaurant chinois en bas de chez toi, y'a aussi un kebab, y'a aussi une crêperie bretonne et pourtant personne n'affirmera que tu te trouves influencé par les sino-arabo-bretons.
Comme d'autres réfugiés sont restés dans d'autres métropoles, de Toulouse à Bordeaux, notamment dans le quartier Saint-Michel : ils ont imprégné la culture locale d'une touche d'Espagne. A Bayonne, les corridas sont aussi un élément essentiel de la culture locale [..]
Ah... une "touche", oui, c'est possible. Quant à la corrida, elle attire certainement du monde, mais cela représente une petite part de la population locale. Des dires de la municipalité même, on vient de loin pour assister aux corridas bayonnaises. Autant dire que peu de Bayonnais habitent ici pour les taureaux, voire même vont aux arènes. Les Arènes sont beaucoup plus fréquentées par des locaux lors des concerts de l'été, je gage.
Pour preuve, la suite :
“Si l'on appartient à la bourgeoisie locale, il faut y être vu. Avoir une place à l'ombre dans les arènes”, souligne Alain, l'un des véritables aficionados de la ville.
Donc, une part "essentielle" de la culture locale motive les membres de la bourgeoisie m'a-tu-vu. Donc, pas l'essentiel de la population. Ça sent quand même l'arnaque, là.
Les Fêtes, c'est "essentiel", mais c'est que 5 jours par an, la corrida, c'est "essentiel", mais c'est élitiste. Reste quoi alors ?
"A Bayonne, on est rugby ou corrida ou pelote basque. Mais on est le plus souvent passionnés par tous ces sports à la fois”, m'explique Jean-François
Ah ben voilà : la pelote ou le rugby. Quinze mille spectateurs à Jean Dauger pour voir jouer l'Aviron, les tournois de pelote au trinquet moderne ou au trinquet St-André, ça, oui : beaucoup de gens pratiquent, surtout la pala.
[..] Jean-François, un fan de pelote, qui n'a que quelques kilomètres à parcourir pour s'adonner à son autre passion : le surf. A quelques kilomètres de là, Biarritz et Anglet comptent parmi les meilleurs “spots de surf” de France.
Là aussi, c'est très cliché, mais c'est assez vrai. Certes, les vagues Bayonnaises sont rares (il n'y a pas de littoral à Bayonne), mais de nombreux habitants sont là pour les spots locaux. Mais ils ne sont pas "que" à Bayonne, faut être honnête, on en trouve un peu partout, y compris dans le sud-Landes.
Dès la descente du train, le nouvel arrivant comprend que la ville hésite entre plusieurs identités : elle est bâtie entre une rivière, la Nive, et un fleuve, l'Adour. Le petit Bayonne – la vieille ville qui a conservé son harmonie architecturale – est considéré comme partie intégrante de l'identité basque.
Là encore, je suis d'accord. Mais la ville "n'hésite pas" entre ces identités, elle est multi-identitaire - c'est ce dont l'auteur parle depuis le début, m'enfin. Mais l'enchaînement se fait sans transition :
Des manifestations de nationalistes y ont fréquemment lieu. Et des commandos du GAL [Grupos antiterroristas de liberación] ont commis, à l'instigation de l'Etat espagnol, dans les années 1980, des assassinats dans des bars fréquentés par les nationalistes.
Super ! Heureusement qu'on est à la rubrique "Voyages", hein ! Je vois de suite les prospectus de l'office de tourisme : venez admirer l'Hôtel Monbar et le Bar des Pyrénées en terrasse desquels le GAL a zigouillé des indépendantistes Basques. C'est "Voyage", la rubrique ? ah pardon, je savais pas que c'était "Voyage dans le temps", alors... sans déconner, y'en a encore des arguments touristiques ?
C'est dans cette partie de la ville que l'on trouve les comités de soutien les plus actifs aux Français emprisonnés pour avoir hébergé des membres de l'ETA. C'est là que l'on retrouve aussi les affiches réclamant la libération des “prisonniers politiques”.
Ah, ben en voilà un, d'argument alors... "Venez voir Bayonne, ses attentats sanglants, ses manifestations exotiques, ses comités de soutien aux prisonniers". Débile.
Où sommes-nous ?
Je me demande, oui... pardon, je m'égare.
Où sommes-nous ? Dans le Sud, c'est certain. La mentalité n'y a rien à voir avec celle d'autres grandes cités d'Aquitaine, comme Bordeaux par exemple. A deux pas de la mairie, en bord de rivière, des pêcheurs ont installé leurs lignes. A neuf heures du matin, un homme, bien habillé, s'approche d'un pêcheur. Et il urine tranquillement en sifflant dans la rivière. Sans que cela ne provoque la moindre réaction du pêcheur.
Oh ben là, on peut vraiment parler de "cerise sur le gâteau", de "bonus track", de "ouaou ! en voilà une mentalité qui me donne vachement envie de visiter cette ville !".
VIENDEZ À BAYONNE ! LA VILLE DANS LAQUELLE VOUS POUVEZ PISSER DANS LA RIVIÈRE !"
Non seulement je doute vraiment de la véracité de cette scène ; ou bien elle est une hallucination causée par les abus d'alcool cités en début d'article.
Sans rire, franchement... COMMENT PEUT-ON ? Comment peut-on dire "c'est le sud", et trois lignes plus loin raconter l'histoire du type qui pisse du haut d'un pont ? C'est quoi le délire ? Sud == Bouseux ? Sud == Ivrogne/Crade/Espagnol ? Le multi-culturalisme mène-t-il obligatoirement à la déchéance et à l'abrutissement des moeurs ?
"Ici, les comportements les plus excentriques sont beaucoup plus acceptés. Le seuil de tolérance est beaucoup plus important qu'à Paris", affirme Jean-Philippe, un Parisien venu s'installer il y a quelques années à Bayonne
Ouais, ben s'il y a un seul de tolérance aux articles tout droit tirés du dictionnaire des idées reçues, il est atteint, depuis longtemps. Le voilà le lapinou : ici, c'est le sud, ici, c'est Bayonne, donc tout est permis, y compris et surtout en période de Fêtes, surtout avec quatre grammes dans le sang, youpi !
Je passe, hein, parce que la coupe est pleine. L'auteur parle donc ensuite du Chocolat. Je résume, donc... si on tape le nom de ma ville dans un moteur de recherche, on trouve donc, dans l'ordre des références :
- aux fêtes,
- aux réfugiés espagnols
- aux corridas,
- au rugby,
- au surf,
- aux trois quartiers (Grand, Petit, St-Esprit),
- à ETA et aux GAL,
- aux gros dégueus qui pissent devant les pêcheurs,
- au chocolat,
- à la langue basque dans la culture locale
Super. Si c'est ça le métier de journaliste, je vais bientôt pouvoir t'en chier des tétratonnes d'articles sur des villes que je n'ai jamais visité, à la rubrique "Voyages" du monde, en enfonçant les portes ouvertes à grands coups de moteur de recherche.
Bon, allez, je ferme la séquence "râlage". Si tu as l'intention d'aller à Bayonne, viens, ouvre les yeux, essaie donc d'oublier ces étalages lamentables de contre-culture journaleuse. Viens te faire prendre au charme de ses rues en pente. Je te promets que les méchants du GAL ne viendront pas mettre du plomb dans ton café.
Et si j'étais webmaster de Bayonne (comprendre "maire"), je tâcherai de faire de efforts en termes de référencement ; les mots-clés associés à ma ville sont largement en-dessous des raisons pour lesquelles je l'aime, j'y vis, et je compte y vivre encore très longtemps.