Agur Jauna
Mar 16 juin 2015
ceci est la retranscription du discours que j'ai tenu dimanche 14 juin 2015, pendant la fête organisée pour le départ en retraite de mon père, Michel Bord, médecin généraliste, établi à Saint-Caprais de Bordeaux (33) depuis janvier 1976.
Agur Jauna !
Ou, comme on dit en bon français, "Bonjour, Monsieur" ; en Basque, "Jauna", ce n'est pas un Monsieur comme les autres, c'est le Monsieur.
Mesdames et Messieurs, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous. La mauvaise nouvelle, c'est que le Docteur Bord prend sa retraite, et qu'en conséquence, il ne vous soignera plus.
La bonne... je me permets de la garder pour la fin, si vous le permettez.
Je connais mon père depuis toujours. tousse. Euh, oui, enfin bon, c'est mon père. Et depuis que je suis en âge de réfléchir, j'éprouve la plus grande admiration pour lui. Je pense qu'il n'y a pas un jour où mon père m'aura déçu.
Il vous a toujours dit la vérité, sans mensonges, sans faux-fuyant. Même si cette vérité était douloureuse, même si vouliez qu'elle soit tue.
Il vous a toujours soigné, du mieux qu'il a pu, en pensant à vous avant tout. Il n'a pas fait que soigner le symptôme ; je pense que beaucoup ici savent de quoi je parle. Il a pris du temps pour vous écouter, pour voir la personne dans son ensemble et comprendre que quand le corps s'exprime, c'est qu'il parle parfois à la place de l'esprit. Il a été votre confident. Le confident, c'est celui qui inspire confiance. Il vous a parlé. Il vous a conseillé. Peut-être qu'il a profondément changé ce que vous êtes, le cours de votre vie.
Il n'a jamais fermé sa porte à quiconque. Toute personne se présentant (parfois bien après l'heure supposée de fermeture) a été prise en charge. Les grands soirs d'hiver au coeur des épidémies, à 22h... 22h30... oui, 22h30, à l'heure où tout le monde a mangé, où le film du soir est presque fini... il était là, à ausculter, prescrire, inlassablement.
Je me souviens. Les dimanches. Il tondait la pelouse, en blue-jean et t-shirt sale. Accourait un dirigeant de club de foot. Il laissait tout en plan. Et il allait au stade, soigner l'entorse, la fracture, la plaie.
Le téléphone sonnait. La nuit, parfois. Il sautait de son lit, et fonçait. Au lendemain matin, notre mère nous demandait "t'as pas été réveillé par le téléphone ?".
Je vous rassure, non, jamais. Le téléphone ne nous a jamais dérangé.
Et quand bien même il serait allé résoudre les soucis de ses patients en pleine nuit, il était prêt, à 8h00, pour vous. Malgré la fatigue.
Au courage.
Mon père, ce héros.
Et pour cela, je lui en ai voulu. Je vous en ai voulu. Enfant, je comprenais mal qu'il passe plus de temps avec vous qu'avec moi et ma soeur. Je lui en ai voulu que, sa consultation terminée, il passe encore des heures à faire sa comptabilité (parfois en traitant son ordinateur de noms d'oiseaux).
Les moments calmes en sa compagnie ont été rares. J'en ai peu de souvenirs. C'était difficile, pour l'enfant que j'étais.
Mais maintenant j'ai compris. Il se devait d'agir ainsi, parce qu'il ne pouvait pas faire autrement. Il devait le faire parce que ses valeurs le lui dictaient. Parce que sa philosophie, du début de sa carrière à maintenant, l'obligeait à être irréprochable.
À cause de cela, il a toujours pu se regarder dans un miroir, tous les jours.
Pour dresser un portrait relativement complet... Michel Bord est quatre personnes à la fois. Le médecin. Le notable. Le père. Le grand-père.
Le médecin prend sa retraite aujourd'hui. Il raccroche son stéthoscope. Il peut être fier de ce qu'il a fait, durant ces presque quarante années.
Mais notable, il l'est encore. Peut-être que vous aurez la chance de discuter avec lui de choses et d'autres et vous pourrez prendre conseil. C'est un sage... Mais je pense qu'il est inutile de le préciser : pas question d'essayer de le faire entrer sur votre liste pour les prochaines municipales. D'abord parce que ma mère ne vous laissera jamais faire, et ensuite parce qu'il n'a pas besoin de se présenter pour savoir qu'il serait élu de toute manière.
C'est mon père. Il est évident qu'il le restera. Symboliquement, je me permettrai, après ce discours, de lui remettre ce Makhila, ce bâton de marche traditionnel du Pays Basque, objet honorifique, sur lequel est inscrite sa devise : "Gizateriaren katemail txikia"... pas besoin de vous traduire, n'est-ce pas ?...
Quant au grand-père... Savez-vous ce que ma fille aînée, Raphaëlle, a dit quand on a fini de lui expliquer que "Papichel" allait être à la retraite ?
Oh mais c'est trop bien, il aura plus de temps pour jouer avec nous !
Alors, Mesdames, Messieurs, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous.
La mauvaise nouvelle, c'est que le Docteur Bord prend sa retraite. La bonne, c'est que Papichel commence une nouvelle carrière.