Je me souviens
Ven 17 juin 2016
J'ai quarante-deux ans.
Je me souviens que j'étais dans le Nord de l'Islande, à Akureyri, le jour de la fête nationale, il y a deux ans.
Je me souviens la première fois qu'on m'a dit "mais... mais... tu es un geek !" et que je n'ai pas voulu le croire.
Je me souviens de l'époque où je publiais plusieurs articles par jour sur Je Hais Le Printemps, des centaines par mois. Le temps où j'étais malheureux comme les pierres, au chômage, entouré d'amis mais seul. J'avais du temps.
Je me souviens les blogs, Lugradio, Slashdot que j'épluchais, la frénésie d'avoir réussi à coder un moteur de blog perso en moins de 5 jours et en PHP. Je me souviens d'avoir fait trois fois le tutorial Python sans comprendre à quel point ce langage allait changer ma vie et me guérir des troubles musculo-squelettiques.
Je me souviens d'avoir rencontré les amis de l'Internet. D'avoir été comblé par leur immense humanité.
Je me souviens de ma première session en quads. Je me souviens du Mans, la soirée de la veille où je titubais, totalement imbibé au rhum-coco, d'avoir veillé 24h.
Je me souviens de ma première crise d'allergie.
Je me souviens de mon arrivée à Bayonne, et que je me perdais souvent, parfois exprès, dans ces rues étroites et désertes et que j'aimais ça.
Je me souviens de Jupiter et sa tempête tropicale, du quintet de Stephan au 200mm et des pléïades aux jumelles, du froid qui prend jusqu'aux os et du jambon / café à 6h du mat'. Je me souviens des étoiles doubles et du terminateur lunaire. Albireo.
Je me souviens de mes premiers boulots sur Bordeaux, la SSII et la BPSO. Des larmes.
Je me souviens de mon éclat de rire en lisant sur la couverture noire d'un roman en plein milieu du Virgin Megastore de la place Gambetta, à Bordeaux : "Spinoza encule Hégel". Les Poulpes, les Instantanés de Polar, les Canaille/Revolver, les Pratchett, les Ken Bruen, les Tolkien, les Pouy, les Asimov, l'OuLiPo, les K. Dick, les Ayerdhal, les Bordage, les Mizio, les Larcenet, les Otomo Katsuhiro.
Je me souviens ma première pinte de Guinness, que Jérôme avait dû finir, parce qu'à l'époque je n'avais pas réussi à vaincre son amertume. Le Dick Turpin's, rue du Loup, les toilettes qui sentaient la pierre et le patron qui tirait deux pintes avant même qu'on aie le temps de s'asseoir ; le Kaova où nous prenions un café et un capuccino en refaisant le monde un milliard de fois. Je me souviens du Connemara Irish Pub, et du patron qu'on soupçonnait d'être un leprechaun, des serveuses qu'on soupçonnait être des fées.
Je me souviens... le sourire niais de l'accordéoniste.
Je me souviens du premier e-mail que j'ai envoyé. De l'arrivée des terminaux graphiques dans l'IUT. 256 nuances de gris. Les Pogols et les Zunix.
Je me souviens du What A Fair Foot Big Boxon Band Quartet. Tout à fond.
Je me souviens avoir lancé un dé 100. Je me souviens de Star Wars et l'Oeil Noir, JRTM et Shadowrun. Je me souviens que la conception des persos était toujours trop longue. Je me souviens de Malienda.
Je me souviens de ma découverte du Métal. Je me souviens quand j'ai entendu Nirvana pour la première fois. Je me souviens comment j'ai appris la mort de Cobain. Je me souviens de la mort de Layne Stayley. Je me souviens de la mort de Jeff Buckley. Je me souviens de la mort de Johnny Cash.
Je me souviens des mini-discs, des cassettes, des 45 tours, des walkmans, du premier magnétoscope à la maison.
Je me souviens de l'arrivée de la 3, d'Ulysse 31 et d'Albator, de Capitaine Flam et de San-Ku-Kai.
Je me souviens d'avoir lu un livre dans la voiture, au retour du supermarché, que j'ai terminé avant d'être rentré à la maison.
Je me souviens des parties de foot qui duraient du matin au soir, jusqu'à ce qu'on ne puisse plus y voir. Je me souviens de Séville en 82. Je me souviens de l'Euro 84.
Je me souviens que je pleurais beaucoup, enfant. Je ne pleure plus.
Je me souviens du goût de la crème Jock, amoureusement préparée par notre mère. Je me souviens de l'odeur du tabac à pipe de mon père.
Je me souviens mon lapin orange. Je me souviens que tout était orange : mon lit à barreaux, ma serviette, mes pyjamas, le papier peint.
Je me souviens le jour où j'ai rencontré Bénédicte et qu'elle m'avait à peine regardé alors que je lui expliquais le fonctionnement de l'asso de roller. Je me souviens la naissance de Raphaëlle, en fin d'après-midi, j'avais eu mal à la tête. La naissance d'Étienne, le temps m'était apparu plus long. La naissance d'Alix, un soir de Derby à Jean-Dauger.
Je me souviens de la Réponse à la Grande Question de la Vie, de l'Univers et du Reste.