Boris Dia
Ven 23 novembre 2018
J'ai rencontré Boris Debove à la faveur de mon stage dans une société de la pépinière d'entreprise, à la Technopôle de Bidart, à l'été / automne 2000. Tandis que je m'échinais sur du Java pour alimenter un projet un peu foutraque, il essayait de monter sa Web TV. Projet également foutraque si on se rappelle bien l'état des connexions internet de l'époque.
Mais il y croyait.
Vraisemblablement, nous avons dû nous croiser dans le hall, à la machine à sous, celle qui distribue la boisson-qui-fait-dormir-quand-on-n'en-boit-pas. Probablement plusieurs fois par jour, l'air sous-caféiné, en recherche d'inspiration. Je n'en ai pas de souvenir précis, mais c'est sans doute lui qui m'a tapé la causette, présenté son projet et tout le toutim. Il était comme ça. En 5mn, tu étais son pote, il avait ton prénom dans la tronche et il t'avait convaincu qu'il allait réussir.
Et puis nos chemins se sont séparés. Je ne savais pas à l'époque que j'allais faire mon trou dans le Pays Basque et m'y installer pour de bon. Je ne savais pas que j'allais rejoindre Arobasque Informatique, y rencontrer le président de l'association de Roller, réparer le forum de discussion du site, commencer à taper la tchatche avec ses membres, m'y insinuer progressivement et y "bloguer" d'une certaine manière, en envoyant plusieurs messages par jour sur les thèmes qui me plaisent, balancer des hyperliens sur tout et n'importe quoi. Je ne savais pas non plus qu'après plusieurs flamewars le forum serait fermé, réouvert, refermé pour une durée indéterminée.
Et j'ai ouvert Je Hais Le Printemps à ce moment-là.
Il n'a pas fallu longtemps pour que Boris me retrouve. Il a dû écumer les internets de la Côte à un moment, tomber sur ma loghorrée et m'envoyer un petit mail pour s'annoncer en tant que voisin. On a dû papoter par commentaires interposés pendant une période ; peut-être même qu'on a dû boire un café en ville. Il a eu par la suite cette riche idée de proposer de rassembler les blogueurs du coin pour le célébrissime Carnet Bayonnais.
C'était lancé. Je ne sais pas combien il y a eu de Carnets, par la suite... je dirai au moins 30 ou 40. Des sujets de discussions, nous n'en manquions jamais. Des éclats de rire. Des envolées lyriques. Des coups de gueule, parfois. Des échanges, toujours. Des tablées plus ou moins larges, des saisons plus ou moins belles. Des projets, commencés, procrastinés, oubliés. Avec toujours, en ligne de mire, Bayonne. Les tours de la cathédrale comme un pôle magnétique, l'Adour comme une plume argentée sur l'horizon, la Nive comme un fossé à franchir d'un bond.
Les blogs, c'était beau ! c'était la vie ! c'était la politique à portée de clic, l'écrit, le partage, la réflexion, l'intercommunication, les liens, la frontière ténue entre le journaliste et le citoyen.
Si je ferme les yeux, ce que je vois, c'est son regard. Il écoutait les gens avec une acuité rare. On aurait dit qu'il se nourrissait d'eux. Et plus encore s'il avait face à lui un passionné, quelqu'un qui était intarrissable sur un sujet ou un autre. Même si le sujet le touchait de très très loin, il le laissait parler, le relançait de questions, essayait de comprendre, d'apprendre, d'englober la personne de toute sa bienveillance pour libérer sa parole. Et au fond, deux prunelles brillantes de curiosité intellectuelle, celle qui est la plus noble, un regard pétillant au coin d'un sourire.
Ça fait mal de se remémorer ça en se disant qu'on aurait dû continuer à se voir. Ça fait mal de se dire qu'on aurait pu discourir et refaire le monde durant toutes ces années où nous n'avions plus ce rendez-vous régulier.
Ça fait mal d'avoir des regrets.
Aujourd'hui, Boris, tu n'es plus.
Tu étais pixel et tu redeviendras pixel.
Tu t'es dématérialisé pour un ailleurs inaccessible, au-delà du firewall. La communication est définitivement rompue et tous les protocoles d'accès sont inutilisables.
Et non seulement ce n'est plus possible de s'adresser à toi numériquement, mais par-dessus tout nous n'aurons même plus la possibilité de nous serrer la main. Nous n'entendrons plus ta voix unique. Nous ne verrons plus la lumière de ton regard, si ce n'est en souvenir. Nous n'aurons plus la chaleur de ton rire pour égayer l'obscurité.
Nous avons perdu un être irremplaçable.