Pomodoro, petit à petit

Lun 21 mars 2011

Parfois, une bête idée peut être moins bête qu'il n'y paraît. J'imagine que la Technique Pomodoro peut paraître simple, voire simpliste :

  • diviser le travail en unités de temps de 25 minutes,
  • entrecoupées de pauses courtes de 5 minutes (pause voulant dire "faire n'importe quoi sauf du travail"),
  • au bout de quatre cycles (25+5), une pause plus longue.

Chaque unité concerne un travail spécifique, précisé à l'avance ; elle est indivisible, durant un Pomodoro, on doit se con-cen-trer. Pas le choix, voilà.

D'ailleurs, si tu es interrompu pendant un Pomodoro, il est invalidé, considéré comme perdu, même si tu as passé dix ou quinze minutes bien concentré.

Mais alors, mais qu'est-ce qu'on fait de ça ?

J'avais déjà entendu parler de la technique il y a quelques temps. Et puis j'avais laissé passer le train. Et puis dernièrement, qu'un gars comme Matthieu Agopian s'y soit mis m'a redonné envie de m'y intéresser.

Profitant d'un début de mission en régie dans une société, donc dans un nouveau cycle de projet et d'un nouvel environnement de travail, je m'y suis essayé.

Le côté technique

J'ai essayé plusieurs outils. J'ai même commencé à coder mon propre outil (prétentieux, va). Étant dans un grand bureau partagé par une bonne dizaine de personnes, l'utilisation d'un vrai Pomodoro Timer était hors de question. tic-tac-tic-tac-tic-tac-DRRRRRRRRRRNNNNNG. Hop, on oublie. Sauf si le minuteur a une prise jack. Mais ça m'étonnerait que ça existe.

Pour noter les activités de la journée et le nombre de Pomodoros consacrés (et le nombre d'interruptions), une feuille de papier suffit. Mais je me suis permis de me faire un petit tableau sous OpenOffice pour archiver mes récaps de journée et pouvoir simplement faire des stats. Oui, je suis nul en calcul mental.

Pour me chronométrer, j'ai testé Pomodroido, qui fonctionne excellement bien sur mon téléphone Android. Un reproche : ça bouffe les piles, c'est mortel. S'il faut recharger le mobile tous les jours pour avoir un "simple" minuteur, bof. Il a un avantage : il garde le compte des Pomodoros. En revanche, pour le côté "reporting", comme il agrège tout dans un seul compteur, ça présente peu d'intérêt.

Sous Linux/GNOME, il existe une applet "timer" toute bête, avec possibilité d'avoir un certain nombre de "presets". Pratique, efficace, intégré au bureau. Soucis : au boulot, je suis sous Windows. Pas trop le choix. Donc, l'applet peut servir à la maison, mais guère plus. Il existe aussi Hamster, une applet pour GNOME qui récapitule les activités et le temps passé, mais il compte plutôt les minutes que les Pomodoros. Peut-être qu'on peut l'adapter, mais bon, la flemme. Et puis, pas Windows, donc, pas pour mes journées de labeur.

Ensuite, en parallèle de l'outil que j'avais commencé à fabriquer, j'ai trouvé une extension, Timer, pour Chrome. Dessus, je me suis programmé une séquence de 25 minutes, une de 5 et une de 15 pour les pauses. C'est très basique, mais bien fichu, on a droit à une petite notification en bas de l'écran à la fin. Y'a même un petit son, qui fait "ding", mais le son, je le coupe quand je suis entouré de mes collègues. Ça marche sous Windows, sous Linux, sous n'importe quoi - pourvu que ça lance Chrome ou Chromium. (parce que le gros soucis de l'outil 'fait maison', c'est qu'il doit tout autant notifier sous Win que sous Linux. Et là, c'est le drame. Parce qu'un moyen simple de notifier l'utilisateur en Python sous Windows, c'est comme trouver un pottok à cinq pattes).

Inconvénient : il faut que Chromium soit ouvert tout le long de la session. Ce qui est :

  • tentateur : Chromium, c'est la boîte de Pandore du procrastinateur, puisque c'est la porte ouverte vers les sites web les plus chronophages.
  • un peu lourd : utiliser un navigateur comme un minuteur, c'est un peu comme utiliser Eclipse pour faire des opérations de copie de fichier, par exemple.
  • limite courageux : si tu fais du dev web, et que tu sollicites un peu durement ton navigateur, il se peut qu'il plante. Les choses sont à peu près stables dans le monde des browsers, mais sait-on jamais. Ce serait con d'invalider un Pomodoro pour la simple raison que l'outil qui te permet de le mesurer s'est vautré comme une merde. Mais cela vaut pour n'importe quel programme, je présume.

Cela dit, j'en suis arrivé à la conclusion que c'est un bon outil, et que de toute manière, laisser un navigateur ouvert 100% du temps, c'est la base de mon métier. Après, il faut se discipliner, et éventuellement avoir un Firefox prêt à l'emploi pour l'envoyer au carton pendant que le Pomodoro continue de tique- taquer.

Le côté psychologique

Je n'ai pas, je pense, constaté un bond drastique de ma productivité. En revanche, je dispose à présent d'une mesure, d'une quantification du temps passé sur les diverses phases d'une tâche, et en les additionnant, d'une tâche elle- même. Pour le moment, je n'ai pas essayé d'évaluer une tâche et de confronter mon évaluation à la réalité. Je me demande dans quelle mesure cette confrontation peut être pertinente. Le modèle prédictif a peu d'intérêt, à mon avis - c'est d'ailleurs pour ça que les méthodologies agiles ont le vent en poupe. D'autant que je débute dans le domaine d'activité de ma mission actuelle, je n'ai donc aucun référentiel (ou presque) pour évaluer correctement la charge. Je débrouille, je fouille, je cherche, j'enquête. Même en multipliant par π, je suis loin de la réalité. Parce que je peux trouver par hasard, en dix minutes, ou me paumer dans des milliers de lignes de code pendant plusieurs jours, sans voir la fin.

En revanche, je gère beaucoup mieux les micro-coupures. Habituellement, quand une idée me venait, je me précipitais pour aller la vérifier, puis il m'arrivait de plonger dans mes emails, d'aller vérifier mes flux RSS, etc. Ces coupures sont mortifères. Avec les cycles 25+5, les 5 minutes permettent généralement de dépiler l'essentiel, et de garder les longues pauses pour les tâches annexes ou plus longues qui ne sont pas directement liées au travail en cours.

Le côté pratique

Là, ça pêche pas mal, cette histoire de tomate. Dans les choux, le côté pratique. Je l'ai déjà évoqué, le timer qui tique-taque et qui dringue vingt- cinq minutes plus tard, c'est infaisable en open space. Ni en bureau partagé, même en petit nombre. Dès qu'il y a deux personnes côte à côte, il est inimaginable de laisser une perturbation sonore aussi désagréable envahir l'espace. Bon, on n'est heureusement pas obligé de se taper un chronomètre bruyant (cf. l'extension Chrome), et on arrive facilement à trouver une alternative.

L'open-space, c'est aussi la foire aux questions - et c'est tant mieux, d'une certaine manière. Il se peut que j'aie besoin de l'avis de quelqu'un, de son aide, et dans ce cas-là, je casse sa concentration. Ou l'inverse. Normalement, on n'a pas le droit d'interrompre le Pomodoro de quelqu'un, mais dans mon cas, c'est un peu atypique : je suis le seul, je pense à pratiquer Pomodoro, donc je ne peux pas imposer aux autres qu'on ne me dérange pas pendant une session. Mais j'ai quand même réussi jusqu'à présent à éviter les perturbations (je pense - peut-être il faudrait comparer avec d'autres comptes-rendus). Et pour le moment, on me fiche bien la paix - ni téléphone, ni trop d'email intempestif. Et de manière générale, dans le bureau dans lequel je suis, c'est plutôt studieux, on entend surtout le fric-frac des touches du clavier et le clic des souris. Parfois les collègues reçoivent des coups de téléphone avec les clients ou autre, mais j'arrive à faire abstraction.

Un autre truc : dans la société dans laquelle je suis en mission, les pauses sont collectives et prises à heures fixes. Ce qui est incompatible avec les intervalles mesurés de Pomodoro. Si la pause est dans 10 minutes, que dois-je faire ? démarrer un Pomodoro que je saurais invalidé ? attendre en prenant une pause qui du coup sera rallongée de 10 minutes par rapport à la pause normale ? Et comment faire pour que la longue pause soit exactement précédée de 4 Pomodoro ? Se synchroniser est utopique : il suffit que l'un des collègues soit interrompu de manière impérative (coup de téléphone qui dure "x" minutes) pour que tout le monde se décale à qui mieux mieux.

Bon, tu résumes ?

Tout ça m'a amené à penser que la technique Pomodoro est bien adaptée... pour le geek asocial ou l'indépendant qui bosse depuis chez lui et certainement pas le salarié en équipe, en espace de travail partagé. À moins d'être totalement isolé dans cet espace (casque audio et mine d'ours mal léché), il est obligé de transiger avec la technique "orthodoxe", de rallonger ou raccourcir les intervalles, pour s'adapter au rythme des autres.

Ça fait un peu cliché, du coup. Genre "le geek asocial", il peut, et la majorité des travailleurs du clavier, ils peuvent pas. De quoi rebuter. Cependant, je recommande à tout le monde de s'y essayer, sur une période relativement courte, comme une quinzaine de jours ou trois semaines, et d'essayer de tirer des enseignements sur sa propre organisation. Et pourquoi pas de l'adopter définitivement.

En ce qui me concerne, je poursuivrai l'expérimentation un petit moment, en l'adaptant aux conditions (horaires des pauses, interactions avec l'équipe).

Tic-tac. Dring !