La tempête Astropicale

Sam 15 octobre 2005

[cet article est dédié à la mémoire de Fernand Layan]

C'était un vendredi soir de septembre, il y a trois ou quatre ans de ça. Je remontais en Gironde pour le week-end, histoire de faire un petit coucou à ma nièce Marie, de me mettre au vert et éventuellement faire le plein de bonnes confitures de ma môman.
J'arrivais "chez moi" sur les coups de 19h. L'air était frais, sec, le ciel bien dégagé, à part quelques nuages à l'ouest. Mmmmmm... Je décroche mon mobile et passe un coup de bigo à Florent.

  • Salut Casque à Boulons ! Comment va ?
  • Té ! voilà le basque qui émerge ! Bien et toi ?
  • Ouais ouais, comme ça... Dis... Tu penses quoi du ciel de ce soir, là ?
  • Oh attends, laisse-moi regarder... Ouééééé, c'est pas mal, t'as raison. Mais... T'es dans le coin ?
  • Yep, j'suis chez mes parents. Tu crois qu'on pourrait dépoussiérer le Vixen ?
  • héééé... De toute façon, tu sais ce que je dis toujours : "faut être dessous". J't'attends quand tu veux.

Y'a peut-être 35km entre Saint-Caprais et Saint-Pardon de Conques, mais une séance d'astronomie avec FL, ça se refuse pas.
Le temps de manger un bout, charger le Newton dans le coffre et me voilà parti, le long de la Garonne, nez au vent, vers le HFOSAF.

J'aime bien faire du "Star Hopping" avec Florent, parce que ce qui se passe dans l'oculaire est bien moins important que ce qui se passe autour du télescope. On blague, on discute, on se fend la poire, on échange nos points de vue sur ce qu'on voit. Faire de l'astro tout seul, c'est moyennement marrant. On se retrouve à se parler à soi-même, ce qui limite quelque peu la conversation. Et puis quand on est avec un joyeux drille comme lui, la discussion ne peut jamais rester sérieuse très longtemps.
Mais on ne chôme pas forcément pour autant. Et y'a toujours de la bonne binouze au frais pour les longues soirées d'hiver entre potes.

A cette époque, Jupiter traînait assez haut dans le ciel, bien
brillante, pas trop éloignée de la Terre, donc, largement accessible,
même avec un instrument modeste. Mon Vixen est ouvert à 4. Ca veut dire
que pour un diamètre de 200mm, sa longueur est de 800mm. C'est *très*
ouvert. Ca veut dire qu'il emmagasine pas mal de lumière, et pour le
"ciel profond" (c'est à dire les objets lointains - galaxies, nébuleuses
et autres amas), c'est du tout bon. Cependant, pour les planètes, il
paraît que c'est "trop" ouvert. Beaucoup de turbulences, une image
manquant un peu de contraste, etc. Tous les "théoriciens" vous le diront
Newton trop ouvert == pas de planétaire. Entre la théorie et la pratique, parfois, on a un gouffre, surtout concernant des équations aussi hasardeuses que "ce qu'on peut ou ne peut pas voir avec un télescope". J'en connais même qui ont réussi à voir les galaxies du Quintet de Stefan avec un 200, alors que c'est théoriquement impossible.

Mais avec un ciel pareil, c'eût été une injure de ne pas aller dire bonjour au gros Jules.

Même si à l'époque j'avais assez peu d'expérience avec mon télescope, j'arrivais assez facilement à pointer la bouboule brillante. Oculaire de 25mm, bien large, qui donne une image bien formée. De jolis satellites, des bandes plutôt bien marquées... bref, Jupiter telle qu'on s'attend à la voir. Certes petite dans cet oculaire, mais assez majestueuse pour mériter son nom Latin.
Florent pointe son oeil dans mon oculaire et fait : "hé béééé... on peut dire que t'as de la chance mon gars".
Moi, je "gné?" en demandant en quoi j'avais de la chance... "Ben quoi ? tu vois pas ?"
Evidemment que je ne vois pas. Je recolle mon oeil au tuyau : "Alors... Je vois la sphère... les bandes... deux bandes tropicales, et peut-être une zone un peu plus claire au Sud."
Florent hausse un sourcil (enfin, j'imagine, parce que dans le noir complet, difficile de voir son sourcil). Il part farfouiller dans sa boîte à malices d'où il extrait un oculaire orthoscopique de 5mm, histoire de bien monter dans les grossissements. En même temps, cet oculaire est un peu magique : il augmente énormément les contrastes. Et pour les planètes, c'est vraiment l'idéal.

Je recolle mon oeil et là : BING !. Au beau milieu de la bande tropicale Nord, une superbe bisquouette, une virgule qui émerge de la bande à Jules. Florent me fait : "Je pense que c'est la première fois que tu vois une tempête tropicale comme ça". Un peu, ouais ! Une tempête tropicale dont le diamètre doit faire la taille de la Terre (j'exagère sûrement un peu, mais exagérer n'est pas mentir), à plusieurs centaines de millions de kilomètres... Ouah. Je reste longtemps à observer ce disque lumineux et ses bandes... L'image que j'obtiens apparaît comme tirée d'un livre. Rhôôôôô... Est-ce que quelqu'un aurait mis une photo devant le tube pour m'arnaquer ? Ben non. Les images que je vois là sont bien celles de Jupiter, âgées d'environ 3/4 d'heure, des milliards de photons plus ou moins colorés qui, après un grand voyage dans le vide sidéral, ont réussi à traverser l'atmosphère terrestre, rebondir sur un miroir parabolique, re-rebondir à angle droit sur un secondaire, pour finalement percuter ma rétine et faire bosser mon cerveau à plein tubes.
Si tu clignes de l'oeil, c'est trop tard. Tu condamnes ces photons à un bon gros crash sur ta paupière. Tout ce trajet pour rien... Rageant.

Après un bon moment passé à voir l'évolution en quasi-direct de la tornade, Florent reprend son oculaire, remet le précédent et me fait : "Maintenant. Regarde".
Elle était là. La tempête. Quelques minutes auparavant, je regardais avec ce même oculaire et je ne la voyais pas. Et pourtant, c'était évident, la virgule qui émergeait de la bande tropicale était certes plus petite que dans le 5mm, mais je la voyais clairement, distinctement.
C'est ça la leçon d'humilité face à l'astronomie. Les choses les plus évidentes sont parfois cachées, invisibles, un temps. Mais à force d'observer, de se "faire l'oeil" sur ces objets plus ou moins lumineux, au bout du compte, ce qui restait trop faible devient évident, éclatant, comme le nez au milieu de la figure. Tu passais à côté d'un phénomène rare, d'une belle image, d'un objet évidemment esthétique, alors qu'il était là. Sous tes yeux.
Et c'est parfois le cas dans d'autres domaines.