Papilou

Mar 28 juillet 2009

Parmi les gens qui me sont chers, je suis presque sûr que tous ont déjà goûté le vin de Louis Bord, récoltant à Loupiac (Gironde). Un vin blanc liquoreux, issu d'une petite propriété de 7 hectares à peine, mais quels hectares. C'est un vin joyeux, sucré, qui s'invite facilement à l'apéro, remplace sans rougir le Sauternes sur le foie gras, accompagne en douceur la tarte aux pommes (façon Tatin).

Moi qui adore le sucré, j'ai toujours éprouvé une certaine fierté à apporter une bouteille de ce vin chez des hôtes. J'ai pour habitude de faire un clin d'oeil au maître de maison et lui glisser la bouteille dans les pattes, en disant : mission de confiance... si tu veux qu'on le boive, garde-le au frigo jusqu'à ce qu'on le débouche. Et les invités de regarder l'étiquette... L. Bord... c'est quelqu'un de ta famille ?. Et moi, d'un grand sourire... oui, c'est mon grand-père... pas mal, hein ?.

Louis Bord a été exploitant viticole jusqu'à ses 83 ans. En 2003, il prenait une retraite bien méritée, en mettant en bouteilles peut-être le meilleur vin de sa longue carrière. Dans son chai, lieu de secrets bien gardés, on pouvait voir jusqu'à une date récente un verre à pied, cassé à la base, appuyé sur une cuve. Ce verre cassé a servi à toutes les dégustations pendant des années... On goûte le jus sorti de la presse, on évalue à la lumière sa couleur... tout ça pour savoir quelle formule magique il faudra prononcer pour qu'il soit parfait au moment de la mise en bouteille. Tout un symbole. Un verre brinquebalant, ustensile obligatoire d'un vigneron amoureux du travail bien fait. Car même avec cet "outil" usé, il savait sortir un vin digne des plus belles tables. Mais oui. À quoi peut servir un verre à pied intact, si celui-ci convient ?...

L'arrêt de sa "carrière" ne l'aura pas empêché de continuer à s'occuper de sa vigne. Faire abattre des acacias, les transformer en poteaux, arracher cette parcelle-ci et la replanter. Un personnage. De toute manière il ne pouvait pas s'en empêcher : la vigne, c'était toute sa vie. Il nous avait toujours dit : je ne suis bien que sur mon tracteur, dans mes vignes.

Il s'est éteint, jeudi dernier, le 23 juillet, dans sa quatre-vingt-neuvième année, d'une crise cardiaque, à quelques mètres de ses vignes.