Le logiciel est 'Pataphysique

Mar 26 février 2013

Être développeur, c'est évoluer dans le monde indicible et délicieusement déroutant des cas particuliers. Un monde empli d'une physique molle, malléable, celle qui régit tout ce qui n'a pas été pensé auparavant et qui a besoin d'être implantée dans la mémoire d'une machine.

Le monde des développeurs est 'Pataphysique.

Les développeurs foulent de leurs doigts des Terres Inconnues de l'imaginaire, apportant à force d'expériences (plus ou moins réussies) des solutions aux problèmes posés. Si le problème n'a pas été résolu, et mieux, par les Géants qui nous ont précédé, il le sera, à la force de nos lignes de code. Le Problème est sans cesse une Inconnue. Peut-être qu'auparavant un de nos Pairs aura implanté dans la Machine une solution à un Problème proche, asymptotique, mais il manquera toujours un petit quelque chose, un machin, un bidule, un cas particulier qui ne rentre pas dans les petites cases de l'uniformité.

Nous sommes amoureux de ses petits riens, ces petites choses qui s'énoncent parfois si simplement et qui pourtant occasionnent des tortures infâmes, des bouillonnements de synapses, des éclatements de complexités.

Nous sommes amoureux, donc nous les détestons.

Ces petites choses rajoutées au cahier des charges initial, ces post-its de la pensée, ces cas idiots qui font qu'une règle n'en est plus une, puisqu'elle ne se généralise plus. Ces petits riens qui nous font "perdre du temps", que nous avons parfois du mal à comprendre, ou dont nous avons parfois du mal à comprendre la justification ; ces petites choses qui ne semblent exister que pour nous tourmenter. Elle est là, cette spécificité, planquée, au détour d'une réunion, d'une conversation. Parfois elle était là, sous nos yeux et, aveuglés, nous ne l'avions vue. Mais pas assez bien vue.

Et elle frappe. Nous plions sous elle, contraints de l'intégrer, de la digérer, de la traiter afin que la Machine puisse traiter correctement notre Problème.

Nous l'aimons, nous la détestons.

Et en plus, nous existons, en tant que développeurs, seulement parce que cette petite chose, ce piment, ce caillou dans la chaussure existe. Nous lui devons d'avoir encore notre métier, et que ce métier existe et a encore besoin de bras, de doigts, de cerveaux. Le client aura toujours un petit grain de sel à ajouter, une dernière petite chose que nous devrons mâcher, digérer et intégrer dans le grand Univers 'Pataphysique.

Lorsque le Dernier Algorithme du Monde aura été implanté dans la Machine totale, Universelle, quand le dernier cas particulier aura été levé, quand plus personne n'aura jamais besoin de rajouter son grain de sel dans la solution crachée par la Machine,... Oui, en effet, le dernier des Développeurs pourra éteindre sa babasse et prendre son congé.

Normalement, on a encore un peu de temps.

Savourons-le, mes soeurs et frères de clavier, en attendant le big bang technologique.